À l’occasion de la deuxième édition des dialogues euro-méditerranéens sur le thème « Comprendre et construire des villes méditerranéennes soutenables », organisée par COBATY international le mercredi 24 avril 2019 au Centre Universitaire Méditerranéen de Nice, Jacques Brulhet (membre de l’Académie d’Agriculture de France et responsable du programme GID-Agri) a proposé une réflexion sur les fonctions que peuvent apporter les activités agricoles dans le développement durable et soutenable des communautés urbaines. 

Cette approche peut paraître antinomique, tant l’opposition ville/campagne reste forte. Et pourtant, il y a tout à gagner dans un rapprochement des mondes urbains et ruraux. C’est tout l’objet de son intervention, ci-dessous, qui présente les différentes fonctions d’une agriculture dans la ville, et comment elles peuvent participer une stratégie urbaine soutenable.

Fonction alimentaire et économique :

C’est la plus évidente, l’alimentation représentant le premier objectif de l’agriculture.

Un petit rappel historique : les premières « villes » ont été créées il y a 8 ou 9.000 ans, à la fin de la révolution néolithique, lorsque progressivement les chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisés pour cultiver des plantes et élever des animaux. Les villes sont donc les conséquences de l’agriculture… Par ailleurs, le mot « maraichage vient du quartier du Marais à Paris, qui alimentait la capitale autrefois, et le Potager du Roy de Versailles était précurseur d’un agriculture urbaine. Depuis seulement quelques décennies, de nombreux essais, projets pilotes ou expériences se sont développés à travers le monde, au sein d’un mix de nouvelles pratiques agricoles. Souvent spectaculaires, quelquefois utopiques, ces réalisations ont montré les limites, mais aussi le potentiel d’une agriculture urbaine : 

  1. Récupération de friches industrielles (Detroit : 1.600 fermes et 160.000 emplois ; Roubaix : 15 hectares fourniront 5% de la consommation locale en fruits et légumes) ; 
  2. Agriculture verticale (concept du Vertical farming de Dickson Despommiers il y a 20 ans) et premières fermes verticales aux USA, en Europe, au Japon (200 fermes verticales); 
  3. Serres et cultures sur les toits (14.000 mporte de Versailles, 800 mà Tours);
  4. Culture hydroponique (sans terre); aéroponie (vaporisation d’eau et des nutriments) ; aquaponie (cultures hors-sol, eau recyclée et aquaculture – ce sont actuellement les plus rentables, exemple BIGH Building Integrated Green House en Belgique) ;
  5. Petits élevages à cycle courts valorisant certains déchets urbains ; 
  6. Pastoralisme urbain, entretien des gazons par des troupeaux de moutons ; 
  7. Ruches en ville… 

Le succès de ce développement répond aussi à la demande du consommateur d’une alimentation de proximité, de cycles courts, limitant les circuits de distribution, et donc l’empreinte carbone.

Même si les rendements à la surface utilisée de ces cultures intensives peuvent être énormes, on est loin d’une autosuffisance alimentaire des grandes agglomérations, mais la contribution peut être plus que symbolique pour certains produits (maraichage, petits fruits rouges, champignons…)

Fonction environnementale et foncière :

C’est d’abord la prise de conscience mondiale de préserver toutes les terres agricoles face à l’expansion urbaine. Il faut avant tout préserver les espaces fonciers nécessaires à une production agricole et lutter contre l’urbanisation sauvage consommant des terres fertiles.

  1. Rôle ancien des espaces verts et des trames vertes dans les grandes agglomérations, qui demain peuvent être des espaces cultivés.
  2. Fonction de réduction des îlots de chaleur, et de stockage de carbone. 
  3. Préservation et contribution à la dynamique de la biodiversité et des équilibres naturels.
  4. Deux fonctions environnementales importantes d’une l’agriculture urbaine sont bien connues, mais encore mal quantifiées, il s’agit de sa capacité à la rétention des eaux pluviales et sa contribution à la régulation thermique des bâtiments. 
  5. Exemple de circuit court, la production agricole en ville réduit fortement les gaspillages alimentaires et l’empreinte carbone.
  6. Autres fonctions environnementales : Réduction des îlots de chaleur, stockage de carbone, utilisation des déchets urbains en compost…

Fonction culturelle :

Une agriculture urbaine, c’est un nouveau lien entre ville et campagne ; c’est réapprendre aux urbains (les jeunes en particulier) ce que représente l’agriculture. Toutes les initiatives d’agriculture urbaine ont une forte résonnance pédagogique pour reconnecter le citadin aux réalités de la nature, de l’environnement et des liens avec notre alimentation. 

  1. Notion de paysage comestible, avec un esthétisme particulier, qui fait interagir le citadin avec le vivant.
  2. C’est aussi un apprentissage du consommer local, de produire soi-même ses produits frais.
  3. Rôle particulier des jardins et potagers scolaires.

Fonction sociale :

L’agriculture urbaine peut représenter un très intéressant lien social : exemples des jardins ouvriers ou partagés (une centaine dans Paris) qui sont des lieux majeurs de rencontres et d’échanges, très souvent intergénérationnels. Nombreux jardins associatifs dans les trames vertes ; politiques de « jardins sociaux » à Lisbonne et Marseille ; inclusions de chômeurs et de marginaux dans des jardins d’insertion. Par ailleurs, le développement  de  ces productions agricultures et élevages urbains représentent potentiellement un fort besoin de main d’œuvre. Ces différentes fonctions sont bien entendu interactives, et c’est un outil nouveau et fort pour améliorer la soutenabilité de nos villes de demain. Cette intégration d’une agriculture urbaine doit participer à cette notion d’urbanisme humaniste proposée récemment par un Cobatyste. Avec ses fonctions environnementales et pédagogiques, ce peut être aussi un facteur important de la transition écologique. Comme exemple d’initiatives pouvant développer ces fonctions, c’est de donner une vraie compétence agricole aux collectivités et organismes de gouvernance des villes et des métropoles. Exemple de la métropole de Rennes où notre Académie d’Agriculture avait organisé un colloque sur ce thème il y a quelques années.